L'enfant de la Fade
(extrait du livre Contes et légendes du Berry, Tome 2)
Une veille de Noël, Madeleine et son époux, modestes paysans à la tête d’un petit domaine sur la commune de Pouligny-Notre-Dame, étaient partis, avec leur fils, assister à la messe de minuit. De retour, Madeleine voulut coucher son petit, endormi dans ses bras. Mais, quand elle se pencha au dessus du berceau pour y déposer son nourrisson, elle y découvrit un petit être inconnu.
Ce nouveau-né était étrange : une peau de lait, fine et transparente, de fins cheveux blancs et soyeux, un visage anguleux aux grands yeux verts en amande, et une lèvre supérieure retroussée vers un petit nez fin.
Un enfant de Fade ! Et ce petit avait faim ! Il se mit à pleurer, secoué de si gros sanglots que le cœur de la brave paysanne chavira. Ses gémissements réveillèrent son petit gars, qui s’empressa d’y joindre ses pleurs.
Elle était jeune et robuste et c’était sa première naissance. Elle avait bien assez de lait pour nourrir deux petits. Alors, elle s’installa sur une chaise, contre le berceau, défit le nœud de son corsage et blottit son fils contre son sein. Puis elle prit le petit être et aida sa bouche à trouver l’autre téton gorgé de lait.
Quand son homme rentra, les bras chargés de bois pour la cheminée, il trouva sa femme ainsi affairée. On entendait des petits bruits de succions goulues. Il comprit, au regard que la Madeleine lui jeta, qu’il n’y aurait rien à redire. Sans poser de question, il installa, bien au chaud près de la cheminée, une auge en bois, qu’il garnit avec un sac de toile bourré de foin.
Dans les mois qui suivirent cette étrange adoption, la Madeleine fut tout heureuse. Tout allait bien à la ferme : les vaches vêlaient sans problème et leurs veaux étaient forts et bien bâtis. Dans la bergerie, les brebis avaient toutes mis au monde des agneaux jumeaux. Les foins récoltés étaient gras et, à la fin du printemps, son homme eut le temps de faire un bon regain.
L’été venu, les récoltes furent exceptionnelles. Au grenier, les sacs débordaient de blé et d’orge. La famille était à l’abri de la faim et l’avoine n’allait pas manquer aux bêtes.
Les petits grandissaient bien, élevés avec amour, comme deux frères. C’est que, pour sûr, son lait était riche et l’air de la campagne, ça vous fait de beaux enfants ! Mais la Madeleine était inquiète pour le petit de la Fade. Il semblait si frêle avec son corps gracile, si fragile à côté de son robuste petit gars. Alors que l’un passait son temps à rêver, l’autre touchait à tout et voulait suivre son père.
L’enfant de la Fade n’avait pas appris à parler. Il se contentait de gazouiller comme les oiseaux, ses chers oiseaux qu’il passait des heures à regarder voler dans le ciel, avec ses yeux immenses qui reflétaient les nuages. Il savait, par contre, imiter tous leurs chants, des merveilleuses variations de l’alouette aux notes harmonieuses du rossignol.
Tout cela dura trois ans, trois ans de bonheur et d’abondance. La Madeleine sentait bien, dans sa sagesse de femme, que quelqu'un veillait sur eux et sur le domaine. La vie était plus facile : c’était comme si, tout à coup, la terre était mieux disposée à les nourrir.
Son homme ne comptait pas sa peine, se démenant comme un beau diable sur son domaine. Il lui parlait maintenant d’acheter un peu plus de terres. Celles du Père Louis, qui était maintenant trop vieux et qui n’avait pas d’enfant pour prendre la relève. Pas tout le domaine, mais une partie seulement. Le reste, on verrait plus tard.
Il voulait embaucher un employé. Il irait à La Châtre, pour la Louée de la Saint-Jean d’été. Il y trouverait un bon gars de ferme, aux épaules solides et ne rechignant pas à l’ouvrage. Et puis, la Madeleine lui ferait bien une nichée de petits. Il n’aurait plus peur, quand il aurait assez de terre pour les protéger de la faim.
Deux jours avant Noël, alors que son homme n’était pas encore rentré des champs avec son ouvrier, la Madeleine entendit qu’on frappait à la porte. La nuit étant tombée, elle hésita à ouvrir. Comme mus par un sortilège, le loquet se souleva et la porte tourna sur ses gonds pour s’ouvrir toute seule.
La Fade était là, très grande dans l’ouverture de la porte, nimbée d’une lumière diffuse.
La Madeleine savait ce qu’elle voulait. Sentant son cœur gros à éclater, elle prit le petit et le tendit à sa mère, qui le serra aussitôt contre elle, dans un geste protecteur empreint de tendresse. Sans prononcer un mot, la Fade salua la paysanne d’un sourire plein de douceur et disparut dans la nuit.
Quand son époux arriva, il trouva sa Madeleine en larmes, serrant son petit gars contre elle. D’un coup d’œil dans la pièce, il comprit que l’autre petit était parti.
Ainsi allait la vie ! La Fade avait eu besoin d’eux pour nourrir son enfant. Elle les avait payés en retour. Maintenant qu’il était sevré, elle était venue le chercher. Sa place était dans son monde et c’était mieux ainsi.
Mais ce grand gaillard sentait bien que rien ne serait plus comme avant. Ce petit si fragile, il pouvait dire qu’il l’avait aimé. Il allait lui manquer, c’est sûr. Il entoura sa femme et son fils de ses grands bras et pleura avec elle.
La Fade continua à veiller sur le domaine où la terre et les bêtes restèrent fertiles.
La Madeleine eut de son homme six enfants. Tous en bonne santé et bien nourris, ils devinrent de beaux jeunes gens, qui faisaient la fierté de leurs parents. Ils ne revirent jamais l’enfant de la Fade.
Bien des années plus tard, il leur arrivait, à tous les deux, de sentir leur cœur se serrer, quand ils entendaient le chant mélodieux d’une alouette ou d’un rossignol.
Ce nouveau-né était étrange : une peau de lait, fine et transparente, de fins cheveux blancs et soyeux, un visage anguleux aux grands yeux verts en amande, et une lèvre supérieure retroussée vers un petit nez fin.
Un enfant de Fade ! Et ce petit avait faim ! Il se mit à pleurer, secoué de si gros sanglots que le cœur de la brave paysanne chavira. Ses gémissements réveillèrent son petit gars, qui s’empressa d’y joindre ses pleurs.
Elle était jeune et robuste et c’était sa première naissance. Elle avait bien assez de lait pour nourrir deux petits. Alors, elle s’installa sur une chaise, contre le berceau, défit le nœud de son corsage et blottit son fils contre son sein. Puis elle prit le petit être et aida sa bouche à trouver l’autre téton gorgé de lait.
Quand son homme rentra, les bras chargés de bois pour la cheminée, il trouva sa femme ainsi affairée. On entendait des petits bruits de succions goulues. Il comprit, au regard que la Madeleine lui jeta, qu’il n’y aurait rien à redire. Sans poser de question, il installa, bien au chaud près de la cheminée, une auge en bois, qu’il garnit avec un sac de toile bourré de foin.
Dans les mois qui suivirent cette étrange adoption, la Madeleine fut tout heureuse. Tout allait bien à la ferme : les vaches vêlaient sans problème et leurs veaux étaient forts et bien bâtis. Dans la bergerie, les brebis avaient toutes mis au monde des agneaux jumeaux. Les foins récoltés étaient gras et, à la fin du printemps, son homme eut le temps de faire un bon regain.
L’été venu, les récoltes furent exceptionnelles. Au grenier, les sacs débordaient de blé et d’orge. La famille était à l’abri de la faim et l’avoine n’allait pas manquer aux bêtes.
Les petits grandissaient bien, élevés avec amour, comme deux frères. C’est que, pour sûr, son lait était riche et l’air de la campagne, ça vous fait de beaux enfants ! Mais la Madeleine était inquiète pour le petit de la Fade. Il semblait si frêle avec son corps gracile, si fragile à côté de son robuste petit gars. Alors que l’un passait son temps à rêver, l’autre touchait à tout et voulait suivre son père.
L’enfant de la Fade n’avait pas appris à parler. Il se contentait de gazouiller comme les oiseaux, ses chers oiseaux qu’il passait des heures à regarder voler dans le ciel, avec ses yeux immenses qui reflétaient les nuages. Il savait, par contre, imiter tous leurs chants, des merveilleuses variations de l’alouette aux notes harmonieuses du rossignol.
Tout cela dura trois ans, trois ans de bonheur et d’abondance. La Madeleine sentait bien, dans sa sagesse de femme, que quelqu'un veillait sur eux et sur le domaine. La vie était plus facile : c’était comme si, tout à coup, la terre était mieux disposée à les nourrir.
Son homme ne comptait pas sa peine, se démenant comme un beau diable sur son domaine. Il lui parlait maintenant d’acheter un peu plus de terres. Celles du Père Louis, qui était maintenant trop vieux et qui n’avait pas d’enfant pour prendre la relève. Pas tout le domaine, mais une partie seulement. Le reste, on verrait plus tard.
Il voulait embaucher un employé. Il irait à La Châtre, pour la Louée de la Saint-Jean d’été. Il y trouverait un bon gars de ferme, aux épaules solides et ne rechignant pas à l’ouvrage. Et puis, la Madeleine lui ferait bien une nichée de petits. Il n’aurait plus peur, quand il aurait assez de terre pour les protéger de la faim.
Deux jours avant Noël, alors que son homme n’était pas encore rentré des champs avec son ouvrier, la Madeleine entendit qu’on frappait à la porte. La nuit étant tombée, elle hésita à ouvrir. Comme mus par un sortilège, le loquet se souleva et la porte tourna sur ses gonds pour s’ouvrir toute seule.
La Fade était là, très grande dans l’ouverture de la porte, nimbée d’une lumière diffuse.
La Madeleine savait ce qu’elle voulait. Sentant son cœur gros à éclater, elle prit le petit et le tendit à sa mère, qui le serra aussitôt contre elle, dans un geste protecteur empreint de tendresse. Sans prononcer un mot, la Fade salua la paysanne d’un sourire plein de douceur et disparut dans la nuit.
Quand son époux arriva, il trouva sa Madeleine en larmes, serrant son petit gars contre elle. D’un coup d’œil dans la pièce, il comprit que l’autre petit était parti.
Ainsi allait la vie ! La Fade avait eu besoin d’eux pour nourrir son enfant. Elle les avait payés en retour. Maintenant qu’il était sevré, elle était venue le chercher. Sa place était dans son monde et c’était mieux ainsi.
Mais ce grand gaillard sentait bien que rien ne serait plus comme avant. Ce petit si fragile, il pouvait dire qu’il l’avait aimé. Il allait lui manquer, c’est sûr. Il entoura sa femme et son fils de ses grands bras et pleura avec elle.
La Fade continua à veiller sur le domaine où la terre et les bêtes restèrent fertiles.
La Madeleine eut de son homme six enfants. Tous en bonne santé et bien nourris, ils devinrent de beaux jeunes gens, qui faisaient la fierté de leurs parents. Ils ne revirent jamais l’enfant de la Fade.
Bien des années plus tard, il leur arrivait, à tous les deux, de sentir leur cœur se serrer, quand ils entendaient le chant mélodieux d’une alouette ou d’un rossignol.
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